Hélices
Mona Chollet est connue pour son essai féministe "sorcières" sorti en 2018. Elle contribua fortement à la réhabilitation dans l'imaginaire collectif de la "sorcière" comme l'icône de la femme censurée par l'histoire. Son livre "Chez soi" est peut-être moins connu et pourtant il me semble tout aussi pertinent. Elle ouvre son texte en dénonçant l'ultra valorisation du "voyage".
"le voyage forme la jeunesse" - "j'ai fait le tour du monde" - "à l'étranger, je me sens tellement dépaysé-e" - "la rencontre de nouvelles cultures, c'est tellement enrichissant" - Erasmus, tourisme, retraite spirituelle, etc.
Et dans le voyage semble s'inscrire un certain standing ou statut social. Qu'il soit du style baroudeur-se ou siège d'avion, voyager devient un critère de liberté, d'ouverture et de luxe. Pour autant, Mona Chollet - journaliste de renom - revendique la poésie du cocon de chez-soi. Elle parle de littérature, de cabane intérieure, de découverte autour de chez soi. Qui sont les voyageur-euses qui connaissent aussi bien leur territoire que les capitales européennes ? La France, n'est-elle pas déjà riche de diversité culturelle ?
Il est plus facile d'accepter la différence lorsqu'elle est loin, à plusieurs jours de voiture, à quelques heures d'avion ou à quelques langues d'écart. Cette différence que l'on croit quitter en rentrant chez soi.
En partant en Inde en 2019, je prenais l'avion pour la quasi première fois. 12 h me semblaient si long et si court. J'avais sur le siège un écran avec un tas de films à disposition en français. Un plateau-repas étonnant qui se voulait "indien". J'avais une sensation étrange, regardant par le hublot je pensais à toutes ces routes que nous ne prenions pas. J'imaginais que nous pourrions marcher, traverser les paysages peu à peu, de villes en villages, de montagnes en montagnes. A cette époque, j'étais en licence de Sciences du langage, et le saut géolinguistique immense que nous faisions me semblait insensé ! J'aurais aimé entendre les accents changer au fil de nos pas vers/dans ce voyage. J'imaginais le temps qu'il nous faudrait pour aller d'Angers jusqu'à Chennai. Et une fois "arrivé-es", peut être aurait-il été temps de partir, de rentrer... que le voyage était là ? dans le simple trajet. Que nous aurions "mérité" cette destination ? Mais non, dans 12h au "mérite" du seul argent que nous avions gagné (à coup de vente de gâteaux, de collectes, de services de restaurations, ...) nous étions dans l'Etat de Pondichéry, dans le Tamil Nadu, plongé-es dans le tamoul, le hindi et l'anglais-indien. Je ne parlais aucune de ces langues. Un mois de honte, de maladresses, de plaisirs coupables et de découvertes naïves. L'avion du retour était silencieux, larmoyant. Je ne voulais être nulle part, ni là-bas où le quotidien me paraissait si loin de mes envies, ni dans cet avion, ni en Europe. Combien de temps ai-je mis pour "rentrer" en France ? Accepter d'être ici, sur ce territoire. Accepter et comprendre ma blanchité. Je ne voulus plus jamais repartir, plus si loin, plus comme ça... en quelques heures de hublots et centaines d'euros. Mon entourage semblait pour autant tellement plus enthousiaste que moi à entendre un récit d'orientalisme... "ça devait être si...." Mon ventre hurlait de scandale, de mots/maux indicibles, de culpabilités. Je n'avais rien à leur dire, que de sortir de chez-eux pour voir le monde à leur porte.
N'ose pas une seule seconde visiter une pyramide égyptienne, quand celles de toiles et de taules... tu les regardes en changeant de trottoir.