Discours- Violences relationnelles queers

Discours tenu le 2/06/2023 "queer market" au Boomerang, Lyon. Les violences relationnelles sont autant voire plus présentes dans les couples queers qu'hétérosexuels...

INTIMITÉAMOURQUEERSEXUALITÉSVIOLENCES

Romane Faure-Mary

6/9/20236 min read

Nous, personnes queers/LGBTQIA+ (en marge d’une certaine hétérosexualité), nous vivons dans un contexte vulnérable. Nous sommes sur-exposé-es aux discriminations et à l’isolement social. Bien sûr chacun-e le vivra différemment, avec plus ou moins de difficultés. Mais c’est une réalité indiscutable… nous sommes oppressé-es par un monde dont nous essayons de nous défaire (le fameux : patriarcat).
Ces pressions créent une certaine culture queer. Une culture de lutte et une culture de fête. Une culture où le repli sur nous permet de nous protéger des violences extérieures. Qui de nous, de vous, de toustes, ne vit pas à mille à l’heure ? entre soirées, fêtes, travail, militantisme, associatif, ami-es et amoureu-ses. Courir toujours et partout. Tenir encore et toujours. Crier pour dénoncer. Dénoncer pour tenir, la tête haute. On le conscientise ou pas… on l’accepte ou pas, mais la vie comme objet à consommer, le temps comme objet d’obsession… sont omniprésents. On a écrit des millions de livres, fait des millions de podcasts, demandé des subventions, créé des pancartes, collé un décompte pour les violences conjugales. Mais avons-nous suffisamment regardé chez nous ? En nous ?
Des études faites au Canada mettent en avant des chiffres qui me terrassent. En prenant en compte le biais du déclaratif (c’est-à-dire la capacité à identifier ce qui est, ou non, violent) les gays et les lesbiennes déclarent 2x plus de violences et les bi 4x plus de violences relationnelles que chez les personnes hétérosexuelles. Des études françaises (rares !) montrent qu’il y a autant, voire plus de violences dans les relations lgbt que dans les relations hétérosexuelles.
Pardon, mais bordel qu’est-ce qu’on fout ? …
Le patriarcat, la romantisation de l’intensité émotionnelle, la romantisation du trop, des crises, la romantisation de l’intox… le consumérisme, la vie à cent à l’heure qui ne laisse plus de place pour rien, c’est chez nous aussi. C’est pas parce qu’on souhaite être déconstruit-es que nous le sommes, et cette illusion favorise et invisibilise les violences que nous vivons. On n’ose pas voir, dénoncer, se questionner sur notre violence ou la violence de nos proches. Ça nous semble impensable…. Iel est tellement féministe, militant, engagé-e, fait tellement de choses. L’idée ne nous vient pas.
Et quand quelqu'un-e parle pour dire « je vis des violences », on minimise. Tous nos principes de metoo s’ébranlent quand c’est à la « commu » qu’on touche. On ne veut pas voir… On ne veut pas que notre « famille choisie », que notre milieu, notre refuge soit lui aussi cabossé. Il l’est, nous le sommes toustes. Est-ce qu’il y a une seule personne qui ne se sent pas du tout concernée par une seule des phrases ci-dessus… ? ne l’a pas entendue ou dite ?
Nous sommes une communauté rendue vulnérable par l’hétérosexisme, nous sommes une communauté invisibilisée par l’hétérosexisme, nous sommes une communauté qui se protège de l’extérieur, mais nous sommes aussi une communauté qui freine pour ne pas voir ses propres violences et qui parfois même défend ses agresseur-ses.

Les structures qui luttent et accueillent les victimes de violences conjugales ne sont pas formées ou adaptées aux spécificités des violences relationnelles queers. Nous n’avons pas d’espace refuge pour ça. Il y a deux semaines, je suis allée rencontrer une adelphe qui tient le compte « violences en milieu queer » à Paris, et va lancer une association pour continuer son travail de visibilisation. A Lyon, nous sommes plusieurs à échanger sur ce sujet et commençons à penser un collectif pour faire de même. J’ai peur, j’ai de la colère et j’ai un sentiment d’urgence de crier tout ça. La critique intracommunautaire est rarement acclamée avec brio et je comprends pourquoi. Mais j’espère que le collectif parisien fera cette asso, qu’un collectif se fera ici à Lyon et qu’on ira à plusieurs mettre les mains dans la boue.

_____________________________________________________Discours écrit et lu lors du QueerMarket du 2 Juin 2023, organisé par CiseauxFanzines au Boomerang à Lyon.

J’ai choisi de parler avec le pronom « elle » dans les phrases qui vont suivre. Phrases que j’ai entendues, lues dans des témoignages et/ou vécues.

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Elle a une histoire compliquée.
J’ai aussi une part de responsabilité dans notre engueulade.
Oui mais tu veux pas qu’on y aille ensemble, tu sais que j’aime pas rester seule ?
Tu veux pas me filer tes codes, ce sera plus simple. Ça change pas grand-chose en soit on n’a rien à se cacher.
Elle a lu mes sms, mais bon après j’avais laissé mon tel allumé en partant.
Je sais que je lui fais du mal, mais je le fais pas exprès.
Elle est hyper intense mais à la fois c’est aussi à moi de l’accepter comme elle est.
On prend déjà tellement chère sur les lgbtphobies.
Promis je ferais attention la prochaine fois.
Tu m’avais dis que tu ne reverrais plus ton ex.
Pourquoi tu rentres à cette heure là ?
Tu m’as dit que tu étais crevée et j’ai vu ta story en terrasse, ça avait l’air d’aller.
Je trouve que quand elle boit et/ou fume elle ne fait plus attention.
C’est pas ça, avoir un problème avec l’alcool, c’est toi qui le prend mal c’est tout.
Je pourrais aussi dire à ta famille que je suis ta meuf et pas juste « ta pote », fais gaffe.
Ca faisait longtemps qu’on s’était pas vu, je me voyais pas refuser du sexe et puis finalement ça a été.
T’es vraiment une hétéra au fond, tu vois t’aimes la pénétration.
Mais c’est vrai qu’à côté d’elle, je suis pas du tout déconstruite donc y’a des trucs que je comprends pas.
Moi je suis violente ? mais tu sais même pas de quoi tu parles, moi des gens abusés j’en vois tous les jours et je peux te dire que ça n’a rien à voir.
Ca m’a énormément blessé ce que tu m’as dis hier. J’ai eu la sensation d’être une agresseuse. J’imaginais au moins que tu allais t’excuser et reconnaître que t’es allé trop loin. J’ai été hyper mal à cause de toi.
Bien sûr que je pète un câble, tu fais tout pour me rendre jalouse, tu respectes aucune de mes limites.
J’ai peur qu’elle s’énerve si je lui réponds pas rapidement par messages. J’ai pas le courage du drama.
C’est toi qui me manipules à me dire pleins de reproches comme quoi je suis trop intense. Tu me fais passer pour folle. Mais je suis toujours là quand t’as besoin, tu devrais pas te plaindre.
Mais si t’es malheureuse casse-toi enfaite. On verra combien de temps tu tiens solo avec tes conneries.
Non tu as mal interprété la situation, ça s’est pas passé comme ça. Tu mens.
Ça va elle m’a pas frappé non plus.
Je peux pas vivre sans toi.

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Tes chiffres viennent d'où ? ça me paraît impossible.
Moi j'avais l'impression qu'au contraire c'était un milieu plus ouvert, je comprends pas !
Pourquoi les bi auraient plus de violences ?
Merci d'avoir dit ça, c'était osé.
J'en ai reparlé avec ma pote dehors, et on se disait que c'est vrai on en avait jamais entendu parlé.
Il paraît que tu as lu un texte sur les violences. Je pourrais le lire ? tu l'as publié déjà ?
Moi aussi j'ai vécu ça.
T'as jeté un pavé dans la mare.
C'est toi qui à lu le texte sur les violences tout à l'heure ?
Bon courage.
Je me demande si moi j'ai dis des choses comme ça déjà.
C'est vrai qu'on utilise pas les mots "violences" pour parler de ce qu'on vit. On dit toujours autre chose.
Le dire c'est déjà agir.


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A la suite de ma lecture il y eu un silence et des applaudissements (en claquant des doigts, comme cela se fait souvent dans les milieux militants). Les mêmes applaudissements que pour les lectures précédentes et à suivre, mais le silence me parut lourd.
Lourd d'émotions. Lourd de mon émotion, de ma voix tremblante de colère. Lourd de surprise pour les auditeur/trices, comme une sidération.

Je repris mon stand pour Hélices à la suite des diverses lectures. Plusieurs personnes sont venues à ma rencontre au cours de la soirée pour me confier leurs vécus, leur doutes, leurs encouragements.

Romane Faure-Mary
Correction et relecture : QueerComms