Clinique de l'accompagnement, Agnès Vandevelde-Rougale

Article du Dictionnaire de sociologie clinique : approche située, approche systémique, sociologie, socioanalyse

THÉRAPIEPOLITIQUE

Agnès Vandevelde-Rougale

6/27/20244 min read

La sociologie clinique, de par sa définition, se veut attention auprès de la personne, telle la médecine au chevet du patient. C’est là l’assise du terme « clinique » introduisant une proximité, une implication, et qui, associé à la sociologie, n’induit pas d’emblée une dimension thérapeutique, mais intègre la personne pour saisir l’impact du social à travers sa dynamique expérientielle. Dans ce contexte, qu’en est-il d’une clinique de l’accompagnement et que signifie accompagner ? Accompagner se définit communément comme l’action de se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui, ce qui augure un moment de rencontre et repose sur l’établissement d’une relation de confiance entre accompagnateur et accompagné. C’est l’élément fondamental et central. À l’intérieur de cette rencontre, l’accompagnateur, dans une présence discrète, ouverte et accueillante, exerce une fonction de guide et de soutien. Il lui faut adopter une posture pour favoriser un échange franc et respectueux dans une attitude non directive afin de laisser à l’autre l’espace nécessaire de liberté et d’autonomie pour se dire. Reprenant les mots de Michel Legrand (2008), il faut pouvoir offrir « une présence humaine authentique ».

Du singulier vers le collectif

2Il appert que la sociologie clinique réside dans une approche du singulier vers le collectif, et ce, en misant sur la compréhension et l’interprétation des faits humains et sociaux plutôt que sur leur explication à partir d’un modèle quantitatif. À cet égard, Fernand Dumont (1982) parlait de deux façons de vivre le social : « Sociologie du prochain, sociologie du lointain […] ce sont deux pôles [du développement de la sociologie] parce que ce sont deux manières d’appréhender ce qui est fondé dans l’expérience que nous avons de notre participation à la vie collective ». Une sociologie du prochain réfère à la pratique et au savoir de l’individu, à sa propre contribution à la collectivité, mais à partir de ce qui est proche et malléable, c’est-à-dire ce qu’il peut s’approprier et contrôler. La sociologie clinique, à l’instar de la sociologie du prochain, s’intéresse à la subjectivité en tant que construction sociale, en tant que réponse de l’individu aux sollicitations de son environnement. Comment se fait l’intériorisation du social et comment cette intériorisation se manifeste dans les affects, les relations, les actions ? Il s’agit donc de saisir les phénomènes sociaux dans leur totalité en y incluant l’individu dans ses manières de les vivre, de les assimiler, de se représenter le monde (Mercier, Rhéaume, 2007), ce qui devient perceptible dans une clinique de l’accompagnement.

L’accompagnement en pratique : exemple des histoires de vie

3Dans cette perspective, la démarche des histoires de vie s’inscrit comme champ d’application privilégié de la sociologie clinique par la mise au jour des rapports entre individu et société, sujets et acteurs sociaux en vue d’actions et de changements. Outre la construction de l’identité personnelle, le récit de vie, oral ou écrit, est la production d’un phénomène social. Au surplus, faire le récit de sa vie, en soi bénéfique, l’est encore davantage lorsque le récitant peut être soutenu par un accompagnement approprié. C’est là qu’une clinique de l’accompagnement joue un rôle et prend tout son sens. Car, en plus de guider, une telle clinique permet de découvrir et clarifier les aspects intimes et personnels, mais également de cerner les liens entre le psychique et l’univers sociohistorique, culturel, économique, politique dans lequel une personne a évolué. Le vécu est ainsi imprégné des habitus, des valeurs et des idéologies hérités du milieu familial et socioculturel, hérités des générations précédentes.

4À titre d’exemple, une expérience d’accompagnement d’adultes au mitan de leur existence ayant à écrire et analyser leur histoire de vie dans le contexte d’un programme universitaire s’est avérée des plus pertinentes pour atteindre une compréhension globale de leur parcours de vie (Gingras, Mercier, Yelle, 2013). Notamment, inclure et scruter la dimension sociale dans l’élaboration d’un récit donne une vision plus large des événements et situations vécus, et permet de repérer en quoi la personne est à la fois le produit et le producteur de son histoire. La construction de son être identitaire est tributaire d’un ensemble de facteurs lié à son passé, qui se répercute dans le présent et s’étendra dans le futur. C’est ainsi qu’au-delà des déterminations psychiques et sociales, l’individu dispose d’une latitude et d’une liberté dans la retraduction de celles-ci où s’effectue un jeu incessant d’interactions dans ses tentatives de devenir sujet. Avec un regard attentif, l’accompagnateur intervient par ses rétroactions sous forme de reflets, de questions, de clarifications pour faciliter l’exploration et l’approfondissement des empreintes multiples et permettre à l’accompagné d’élucider son histoire et d’y dégager un sens. La personne accompagnée est alors amenée à développer sa capacité réflexive pour comprendre ce qu’elle est devenue, comment et pourquoi. Un point original d’une approche clinique de l’accompagnement se trouve dans le déblayage de ces influences interactives, comment et de quelle façon elles agissent sur un individu ou un groupe, et comment il devient possible d’en modifier les perceptions et d’y obtenir des effets transformateurs. On aura compris que le processus est formateur et jamais achevé. Au fil du temps il peut être repris, remanié en vue d’y déceler de nouveaux sens et de l’enrichir toujours plus.